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Pucerons : petits intrus, grands enjeux

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Pucerons : petits intrus, grands enjeux

Les pucerons sont une famille d’insectes herbivores qui affectent une large gamme de plantes cultivées dans les régions tempérées. Cet article vise à apporter une compréhension globale des enjeux complexes liés à leur gestion, en particulier pour les filières arboriculture fruitière et betterave.

Lutter efficacement contre certains ravageurs clés comme les pucerons est essentiel pour la viabilité de nombreuses cultures tant leurs impacts sur la production peuvent être importants. Sans méthodes de contrôle adéquates, maintenir les populations de ravageurs à des niveaux économiquement supportables devient une impasse technique majeure pour les producteurs. Celà concernent particulièrement les systèmes agricoles qui dépendent fortement des insecticides chimiques synthétiques car les externalités socio-environnementales liées à l’usage excessif de ces produits conduisent à un agenda politique de plus en plus restrictif. La disponibilité des substances actives sur lesquelles reposent leur efficacité est en déclin. On parle d’«usage orphelin» lorsqu’il n’y a plus de solutions autorisées permettant de lutter efficacement contre un bioagresseur. Réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques synthétiques est un pas essentiel vers la mise en place de systèmes agricoles durables sur le plan environnemental. Cependant, un retrait brutal de ces produits pourrait fragiliser l’avenir des filières agricoles si des alternatives viables ne sont pas proposées.

Les pucerons : défis biologiques

Les pucerons sont des petits insectes suceurs de sève à corps mous. Plus de 5000 espèces ont été décrites à ce jour. Leur nuisibilité est due à leur cycle prolifique combiné à la multiplicité de dégâts qu’ils peuvent occasionner.

Le cycle des pucerons, croissance exponentielle

Le cycle des pucerons doit sa singularité à une stratégie de reproduction particulière. Typiquement, les œufs éclosent au printemps, donnant naissance à des femelles dites fondatrices. Les fondatrices sont asexuées et vivipares, c’est-à-dire qu’elles peuvent se reproduire sans l’intervention d’un mâle et donnent naissance à des progénitures déjà formées. Ces dernières atteignent une plante hôte et produisent rapidement des clones sur un grand nombre de générations successives. Les femelles néoformées portent déjà un embryon. La population augmente alors de manière exponentielle. Cette phase reproductive est appelée la parthenogénèse. Lorsque la densité de population sur une même plante devient trop importante ou que les conditions deviennent défavorables, des individus ailés peuvent émerger et migrer vers d’autres plantes. En automne, si les conditions l’imposent, certaines espèces produisent des mâles afin de se reproduire de façon sexuée. La fécondation aboutit à la ponte d’œufs qui resteront en dormance jusqu’au printemps suivant.

Des dégâts directs et indirects

Les dégâts associés aux pucerons sont multiples. Ils peuvent impacter directement les végétaux en prélevant la sève provoquant un affaiblissement général, un retard de croissance, des déforormations d’organes, un flétrissement et parfois la mort. Pour les cultures pérennes comme les arbres fruitiers, des dérèglements hormonaux peuvent survenir, affectant la vigueur du végétal sur le long terme. Pour les cultures fruitières, le rendement se voit largement affecté par la chute précoce des fruits ainsi que par l’altération de leur taille et de leur forme. En outre, les pucerons affectent les cultures de manière indirecte. Le miellat qu’ils sécrètent attire d’autres ravageurs et favorise le développement de la fumagine, un champignon qui réduit la capacité de la plante à réaliser la photosynthèse. Enfin, les pucerons sont vecteurs de maladies virales pouvant être très graves comme la jaunisse de la betterave.

Filières fruits et légumes : horizon orageux

Le secteur des fruits et légumes est fortement dépendant des pesticides de syntèse. Ces systèmes sont parmi les plus gros consommateurs de produits phytopharmaceutiques. Cette consommation résulte notamment de normes cosmétiques et sanitaires strictes en aval du marché en combinaison avec la susceptibilité des arbres fruitiers ainsi que des cultures maraichères à de nombreux ravageurs et agents pathogènes. En particulier, la nature pérenne des vergers fruitiers permet aux bioagresseurs de perpétuer leurs cycles d’une année à l’autre. Historiquement, la gestion des pucerons dans ces systèmes s’est principalement appuyée sur des insecticides synthétiques. Toutefois, le retrait progressif de ces produits est un défi règlementaire que redoutent de plus en plus de producteurs.

Pour les producteurs conventionnels, le spirotétramate (Movento®) joue un rôle clé dans la lutte contre les pucerons, mais son Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) n’a pas été renouvelée, conduisant à une interdiction de tous les produits le contenant. D’autres substances comme les carbamates, les pyréthrinoïdes synthétiques ou le flonicamide restent autorisées mais rencontrent fréquemment des problèmes de résistances qui risquent d’être exacerbés par la raréfaction des substances disponibles limitant ainsi les possibilités d’alternances de modes d’action.

Filière fruits biologique

En agriculture biologique, qui représente environ 25% des surfaces arboricoles, les options de lutte sont plus limitées. Outre les huiles blanches et les argiles qui offre des efficacité limitées, l’azadirachtine, issue de l’arbre de neem, est employée pour traiter les fruits à pépins, même si elle est classifiée comme substance Cancérigène, Mutagène ou Reprotoxique (CMR). Concernant les fruits à noyau, l’huile essentielle d’orange douce est une option, mais ces produits, ne disposant pas d’AMM, sont seulement autorisés de façon dérogatoire et sans assurance de renouvellement pour les campagnes futures.

Si des moyens de lutte prophylactiques existent, ils ne permettent pas d’éviter les infestations. De plus, les arboriculteurs ont peu de marge de manœuvre concernant les pratiques culturales qui nécessitent de repenser l’implantation des vergers.  La filière recherche activement des moyens de lutte efficaces et sans danger pour l’Homme et l’environnement.

Filière betterave : le déclin des défenses

La gestion des pucerons dans la filière betterave était assurée par le traitement des semences avec des substances de la famille des néonicotinoïdes (imidaclopride, thiaméthoxame) parfois associé à des pyréthrinoïdes (téfluthrine). Le retrait des néonicotinoïdes en 2018 a laissé les agriculteurs désarmés face aux attaques de pucerons et a entrainé des pertes de rendements importants ce qui a conduit à l’octroi d’une dérogation jusqu’en 2023. Sans ces traitements, les agriculteurs se retrouvent non seulement obligés d’avoir recours à des traitements curatifs autrefois superflus, mais également au pied du mur avec des options limitées pour lutter efficacement contre les invasions de pucerons. Même lorsque des traitements alternatifs sont appliqués, ils se révèlent souvent insuffisants pour maintenir les populations de pucerons en dessous des seuils critiques. À ce jour, les alternatives rapidement mobilisables sont des produits phytopharmaceutiques de synthèse comme le flonicamide (substance active du Teppekki®) disposant d’une AMM pour usage sur betterave et le spirotétramate (substance active du Movento®) à titre dérogatoire en 2023. Face à l’urgence, un Plan National de Recherche et d’Innovation nommé «vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière» a été mis en place depuis 2021, matérialisant le besoin urgent de développer des produits de lutte sains, efficaces et rapidement mobilisables.